[Background] Irunaeka

Par où commencer ? J’ai réfléchi longtemps aux différentes manières de dater ce récit, de lui donner une journée de départ ; mais les souvenirs qui me restent semblent défier toute logique temporelle rigoureuse. Je sais juste qu’il y eut un temps avant, un temps après et entre les deux les ténèbres, un voile noir dissimulant ce que je suspecte avoir été des années d’errance vaine, sans but, où le souffle de la vie habitait mon corps mais dont je ne savais que faire.

Au plus loin que puisse remonter mon esprit, il y a la jungle, épaisse, grouillante et lourde des vents humides qui, du nord, venaient décharger sur Strangleronce leurs trombes d’eau.
Pourtant, mon aspect, ma peau bleu-vert, mes tatouages, mes défenses sont autant d’indices révélant mes origines. Darkspear, jusqu’au bout des griffes... Pourquoi ne garde-je nuls souvenirs de ma tribu ? Voici un autre voile noir que je ne saurais soulever.
Je suis Irunaeka, Maitre des Eléments ; et je me sens vieux.

Terriblement vieux…

Vivre m’a érodé, lentement, exactement comme l’eau mouvante transforme les ruines et les rochers en sable uniforme. Mon esprit, plus que mon corps, s’est effrité et je me sens aujourd’hui dispersé. Je sais que les énergies magiques ont prélevé en moi comme j’ai prélevé en elles et qu’un jour je finirai par me dissoudre dans l’immensité. Mais ce jour où je trouverai enfin le repos du vide n’est pas encore arrivé. Certains disent que je cherche ce repos, que je l’appelle de mes vœux lorsqu’au combat j’oublie la fragilité de ma chair et néglige de la protéger. Mais je ne le perçois pas ainsi. Comment leur décrire la puissance des éléments, cette puissance débordante où l’esprit se perd, se laisse entraîner jusqu’à oublier ses liens matériels mais qui rend tellement plus forts, tellement plus clairs toutes les fibres formant la trame du monde ?

Bah ! Je me perds déjà dans mes pensées. Mes compagnons ont raison, je dois être un peu fou.
Il est temps de commencer véritablement ce récit, de lui donner un premier chapitre. Mais j’hésite encore. Le présent, l’immédiat, l’énorme présence de l’énergie élémentaire me trouble. Je dois encore me recentrer en moi-même à fin de clarifier mes souvenirs.

C’est fait. Je sais par où commencer.

Les temps étaient durs après l’invasion de la Légion Ardente. J’étais seul. Partout la guerre. Partout la mort. Et nulle part un signe de stabilité quelconque. Nulle part un signe me permettant d’orienter mes pas…

Je me battais pour moi-même, toujours en quête des sources élémentaires de puissance.

J’étais perdu, en réalité.

J’étais en Azeroth, errant dans la forêt des Pins Argentés à la recherche de sources pures, lorsqu’ils me trouvèrent.

Ils me ressemblaient tant. Perdus dans le cours tumultueux du destin, ils avaient su réorienter leurs pas. Ils m’invitèrent à en faire autant. J’acceptais. J’ignore le nom du Réprouvé qui me fit rejoindre leurs rangs ; il se confond dans ma mémoire avec un grand nombre d’autres êtres au caractère semblable : féroce, puissant, le regard dur.
Nous nous ressemblions tous malgré nos différences ; et cet esprit commun que nous partagions avait un nom. Un nom que l’Enfer lui-même avait appris à redouter : Celui de la Compagnie Noire.